Fairfax. Petit bourg situé non loin de la capitale administrative des Etats-Unis. Joan y était née il y a vingt-huit années de cela. Elle avait passé son enfance dans une petite maison du quartier modeste de Old Lee Hill à rêver au luxe dont sa vie manquait. Quand elle eut dix huit ans, Joan rencontra Monsieur Davenport de douze années son aîné et l'épousa. A partir de cet instant, Joan eut absolument tout ce qu'elle rêvait : un loft somptueux au coeur de Manhattan, une carte de crédit sans plafond, des accès aux défilés de mode et des soirées de gala à n'en plus finir. Cela faisait un an que Joan était revenue à Fairfax. Après avoir vécu pendant six longs mois chez ses parents, dans cette espèce de vieille bicoque où elle avait grandit, son mari était venu passer un week end à Fairfax pour lui acheter une sublime maison pavillonnaire avec une clôture blanche et tout ce qui allait avec. Mais en décidant de retourner s'installer à Fairfax, elle avait aussi implicitement décidé de mettre un terme à sa carrière de mannequin, car il fallait être honnête, qui voudrait d'une mannequin retranchée au fin fond de la Virginie. Quitter New-York l'avait également éloignée de ses "amis". Heureusement, certain de ses amis d'enfance n'avaient pas bougé de Fairfax et Joan avait pu renouer avec.
C'était notamment le cas d'Elena. Une amie d'origine russe dont le père est ambassadeur. Petite, Joan était affreusement jalouse d'elle car elle vivait dans une grande maison, avait beaucoup d'argent et possédait tout ce qu'elle voulait. Aujourd'hui, Joan prenait une revanche sur la vie et elle voulait que tout le monde à Fairfax le sache. Cela faisait quelques mois que Joan possédait cette sublime maison pavillonnaire à Farrcrof, le quartier le plus huppé de la ville. Elle avait engagé un architecte et une décoratrice d'intérieur pour que tout soit exactement à son goût, pour que tout soit absolument parfait. Après cinq mois passés dans les magasins d'intérieur et les antiquaires, la décoration de sa maison était terminée. Pour l'occasion, elle avait invité Elena, son amie d'enfance à venir boire le café. Elle espérait qu'elle serait aussi enthousiasmée qu'elle, qu'elle serait même subjuguée par sa maison et son goût du raffinement. Mais surtout, elle espérait qu'Elena remarquerait que tout était hors de prix.
Joan avait enfilé un pantalon noir coupe droite et un chemisier blanc. Tout était griffé et ça se voyait. Joan ne lésinait sur aucun détails pour montrer que l'époque où elle devait repriser ses vêtements et les acheter en solde ou d'occasion, était belle et bien révolue. Elle était en train de repositionner un vase de pivoine quand on sonna à la porte. Joan figea son sourire de femme d'intérieur parfaite et se dirigea vers la porte pour aller ouvrir.
« Elena ! Quel plaisir de te voir, entre je t'en pris. »
Joan l'invita à entrer et referma la porte derrière elle. Quand on entrait chez Joan Davenport, on tombait directement sur la pièce à vivre. Il s'agissait d'un espace tout de blanc immaculé agrémenté de bois brut. Elle l'invita à s'assoir sur le canapé en cuir blanc.
«Tu es plutôt thé ou café ? » demanda t-elle aimablement.

 

Elena entra dans la pièce et complimenta la jeune femme sur son apparence. Joan referma la porte derrière Elena tout en la remerciant et en lui retournant le compliment. Une fois à l'intérieur, Elena tendit un paquet à Joan. Elle lui dit qu'elle avait apporté un petit quelque chose qui se marierait bien avec le thé ou le café. Joan prit le paquet entre les mains et remarqua qu'il s'agissait de macarons. Elle adorait cette petite gourmandise qui provenait tout droit de France. D'ailleurs, lorsqu'elle se rendait à Paris, elle ne manquait pas de faire un petit tour chez Ladurée sur les Champs Elysée, même s'il fallait souvent faire la queue pour pouvoir déguster cette merveille, cela en fallait vraiment la peine.
«Oh il ne fallait pas, c'est vraiment trop gentil ! » s'exclama t-elle toute sourire.
Joan se dirigea vers la cuisine, qui était ouverte sur le salon dans lequel elle avait invité sa vieille amie à s'assoir. Elle posa la boite de macaron sur le comptoir et commença à faire chauffer l'eau du thé.
«Tu as une préférence pour le thé ? J'ai du thé vert à la menthe, thé aux fruits rouges, à la bergamote, thé au jasmin et thé vanille-caramel ? » demanda t-elle depuis la cuisine.
Tendis que l'eau bouillait, Joan sortit des tasses et une théière en porcelaine qu'on lui avait offert pour son mariage il y a dix années de cela. Elle disposa sur une petite soucoupe les macarons qu'Elena venait d'apporter et une fois que l'eau fut suffisamment chaude, elle prépara le thé. Joan revint dans le salon accompagnée d'un petit plateau bien garni. Elle posa le tout sur la table basse et s'installa sur le canapé, face à Elena.
«Ca me fait plaisir que tu te joignes à moi pour le thé. Alors dis moi, que penses-tu de la décoration ? »
Joan n'était pas du genre à tourner autour du pot. Elle était toute fière de sa nouvelle demeure, fière d'avoir les moyens (ou que son mari ait les moyens) de se payer une décoratrice d'intérieur qui avait fait des merveilles. Tout était épuré et plutôt.. impersonnel. Mais Joan s'en moquait. Elle aimait le design et le moderne, et surtout le prix de chacun des meubles et objets qu'il y avait chez elle. Elena avait l'habitude de côtoyer le beau monde et les décors les plus riches et raffinés qu'il soit. Si elle appréciait l'intérieur de Joan, et mieux encore, si elle en était jalouse, Joan serait aux anges.
 

Elena trouvait l'endroit "parfait et super joli". Joan sentit un sentiment de satisfaction envahir son corps. Elle arbora un sourire poli sur ses lèvres, mais son corps tout entier rêvait de danser le french cancan.
«Oh pas tellement, j'ai collaboré avec une décoratrice d'intérieur très talentueuse qui a déniché pour moi tous les meubles et accessoires que je souhaitais. » expliqua t-elle.
Non loin d'elle l'idée d'arpenter les magasins de décoration et les brocantes, mais ce n'était vraiment pas son genre. Elle n'était pas comme Madonna qui aimait se faire remarquer au marché aux puces de Saint Ouen. Non, non, Joan aimait les belles choses mais sans bouger de chez elle, sans lever le petit doigt pour l'obtenir. C'était une princesse née; avec les bons et les mauvais côtés.
«Bon, dis moi tout. Que fais-tu à présent dans la vie ? Tu es mariée ? Tu as des enfants ? » demanda t-elle curieuse.
Pour Joan, Elena avait toujours été une enfant gâtée par la vie. Née avec une petite cuillère en argent dans la bouche, avec trois fées pour marraines et le destin en sa faveur de manière perpétuel. Joan n'était pas née avec les mêmes attributs. La seule chose qu'une fée lui avait donné en se penchant sur son berceau, était la beauté. Le destin avait joué en sa faveur une fois, en rencontrant David Davenport. Mais était-ce vraiment une bonne chose ? Après tout, neuf années plus tard elle se faisait poignardée devant chez elle à New-York et un an après, elle retournait à Fairfax, au point de départ. La boucle était bouclée. Enfin, elle revenait avec un chéquier et un compte en banque astronomique. Il fallait tout de même relativiser.  
 

Joan l'écouta raconter qu'elle n'avait ni mari ni enfant. Qu'elle vivait avec son petit chien et qu'à présent, la chose la plus importante dans sa vie était son métier. En effet, Elena lui apprit qu'elle était organisatrice de mariage. Joan prit à son tour sa tasse de thé entre les mains et en but une longue gorgée. Elle aimait sentir ce liquide chaud passer dans sa gorge, et réchauffer son corps de l'intérieur. C'était comme une bouillotte interne, ça réchauffait pas ça réconfortait un peu aussi, quand le moral était au plus bas. Elena plaisanta sur le fait qu'elle aurait pu organiser le mariage de Joan. La jeune femme sourit à son tour.
«Oui, à dix ans près tu aurais pu ! Haha » plaisanta t-elle.
Alors qu'elle reportait à nouveau sa tasse de thé à ses lèvres, Joan ne put s'empêcher de repenser à son mariage. Cela faisait dix années qu'elle était mariée avec David. Et aujourd'hui, tout ce qu'il restait de leur union était leur nom commun. Ils ne vivaient même plus ensemble. Pourtant, ils n'avaient jamais discuté des problèmes que traversait leur couple, comme s'ils ne souhaitaient pas admettre que quelque chose n'allait pas. Avec tous les voyages d'affaire de David, Joan se sentait seule à New-York et finalement, son agression n'avait été qu'un prétexte pour quitter Big Apple. Joan reposa sa tasse sur la table basse et se pencha pour prendre un macaron qu'Elena avait apporté.
«Hum.. ils sont divins ! » s'exclama t-elle.
Joan termina sa bouchée et reposa son regard sur Elena.
«Tu aurais pu venir avec ton petit toutou ! S'il ne fait pas pipi sur les canapés ! » reprit-elle.
Joan aimait bien les animaux, à partir du moment où ils ne laissaient pas de poils sur les vêtements, ni ne saccageaient son nouvel intérieur.
«Tu travailles pour quelqu'un, ou tu as ta propre agence ? » demanda t-elle, intéressée d'en apprendre plus sur la nouvelle vie de sa vieille amie.