« Alors, quelle université vas-tu visiter ce week-end ? » « George Washington. » Je vis un petit sourire apparaître sur le visage de mon paternel, et je le lui rendis sans hésitation, parce que je me doutais qu’il serait satisfait que je manifeste de l’intérêt à aller à la même université où il était lui-même allé. En même temps, je me doutais déjà qu’il faisait cela que pour m’amuser, parce qu’il devait déjà s’en douter. Non seulement, je lui avais déjà dit que les autres universités que j’étais allée visiter ces dernières semaines ne m’avaient pas plu, essentiellement parce que niveau sciences politiques, celles-ci manquaient ce cachet que j’aimais tant de Washington. De plus, ce n’était pas comme si le fait de vouloir suivre ses pas changeait de mes habitudes. C’était ainsi depuis toujours ; je m’étais toujours montrée admirative du travail de mon paternel, du travail qu’il faisait, des opinions qu’il pouvait avoir. Après, peut-être étais-je un peu biaisée, parce que depuis que j’étais toute jeune, il tournait autour du monde de la politique. J’étais née à Washington en raison de son travail, j’avais raté plusieurs jours d’école parce qu’il devait faire des voyages au travers du pays pour son travail au Congrès. J’y entrais comme je le voulais depuis toujours, ce ne serait même pas étonnant que je réussisse à dégoter un stage pendant mes études seulement en raison de ses contacts là-bas, même si j’étais bien décidée à faire mes propres affaires, changer le monde à ma façon, comme je le pouvais. Ça, je le prouvai bien rapidement quand il ajouta :
« Politique, je suppose ? » Dans un premier temps, je hochai la tête positivement, parce que je ne pouvais pas le lui cacher, mais ensuite, j’ajoutai :
« Et peut-être avec une mineure en communications… » Ça, je ne lui en avais jamais parlé auparavant. je n’en avais jamais parlé à qui que ce soit, pas même à ma mère, pas même à ma sœur. Enfin, dans leur cas, leur en parler n’aurait pas changer grand-chose, parce que ma mère ne s’y intéressait pas trop et ma sœur, dès qu’on parlait d’université, elle avait une crise d’urticaire. Elle était plus vieille que moi, et elle ne semblait pas prête de partir de la maison, sauf si un jour, elle trouvait un homme riche à marier. Enfin, ce n’était clairement pas elle qui allait m’arrêter, surtout que maintenant, je semblais avoir l’approbation de mon père, puis de ma mère en silence. Ce week-end s’annonçait des meilleurs, et j’espérais sincèrement que je pourrais avoir cette place au sein de cette université que je convoitais depuis longtemps maintenant.
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Les journalistes commençaient à se masser dans la salle de conférence, discutant entre eux, se demandant ce qui allait se passer. Rares étaient les moments où un membre du Congrès faisait une annonce lui-même, préférant de loin transmettre un communiqué ou quelque chose du genre. Quand quelqu’un se présentait en personne à la tribune des journalistes, c’était pour quelque chose d’exceptionnel, comme c’était le cas pour cette déclaration, déclaration que j’avais écrite moi-même, à la demande de mon paternel. La veille, je l’avais relue, plusieurs fois, avant de la lui remettre, lui laissant le temps de l’apprendre, ravie de voir que le choix de mots, les tournures de phrase semblaient le satisfaire. Je n’avais pas fait grand-chose, parce qu’il valait mieux que ce soit fait de façon coutre et simple, mais si cela lui plaisait, c’était juste parfait. Le moment étant maintenant arrivé, mon paternel, se tenant à la porte de la salle de presse, nous considéra avec un sourire rassuré, comme si cela lui faisait du bien que ce moment soit arrivé. Il fallait dire que cela faisait quelques semaines qu’il attendait cela, mais il voulait s’assurer que tout soit en ordre, à savoir qu’il n’ait aucun dossier majeur à traiter, que j’aie terminé l’université et que j’aie finalement trouvé un emploi dans le domaine qui me plaisait. Cet emploi, j’allais le prendre dès la semaine suivante, le député auquel j’avais été assignée n’étant pas encore en poste pour le moment. J’avais donc pu me consacrer à cet instant important pour mon paternel, pour ma famille, c’était tout simplement parfait, parce que je n’aurais pas voulu manquer ça pour rien au monde, sachant comment c’était important pour lui. Profitant de son dernier moment d’intimité avant d’aller sous les projecteurs, je l’embrassai sur la joue, puis je lui tendis la déclaration au propre, sur un papier officiel. Il s’approcha alors de la tribune, et de l’endroit où je me tenais, je pus l’entendre dire :
« Bonjour à tous. Si je vous ai conviés aujourd’hui, c’est pour vous annoncer qu’après maintes réflexions, pour des raisons personnelles et familiales, prends ma retraite du Congrès. Cela fut mon plaisir de dédier… » Depuis le début, il n’avait pas regardé la feuille, ce qui n’était pas surprenant de sa part, mais quand il eut soudainement un blocage, j’en eus un aussi, espérant simplement qu’il irait jusqu’au bout. Puis, il vint à dire :
« Près de trente dans à la politique et en servant mon pays du mieux que je le peux. Dans quelques jours, mon successeur prendra ma place. Je ne prendrai aucune question. Merci. » Un brouhaha se fit entendre dans la salle, tous voulant en savoir davantage, mais ils en avaient eu assez. Mon père revint alors vers nous, l’air décontenancé, en raison de ce fameux blocage. L’air désolé, je le regardai, puis je pus lire sur ses lèvres « J’avais oublié… », me poussant alors à prendre sa main tandis que nous quittions les lieux, et je tentai tant bien que mal de ne pas me montrer triste. Il ne voulait pas qu’on se sente mal, il ne voulait pas que ses derniers souvenirs soient malheureux, parce que oui, ce serait probablement ses derniers souvenirs, vu cette maladie qui était en train de l’assaillir, ce qui expliquait vraiment sa démission. Mais ça, jamais personne d’autre que nous le saurait, et c’était tant mieux ainsi.
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« Comment te sens-tu, Capri ? » « Hum… Ça va. » fut tout ce que je lui trouvai à dire. Je ne me voyais pas dire que c’était la grande forme alors que ce n’était pas le cas, même si je me doutais bien que ce que c’était ce que ce thérapeute aurait voulu entendre, espérait entendre, mais en même temps, je ne pouvais pas dire que ça allait mal non plus. Dire que j’allais mal serait un mensonge, surtout que j’avais su ce que c’était vraiment, d’aller mal, aller mal au point de ne plus avoir envie de vivre. Voilà pourquoi j’étais ici en fait. À défaut de pouvoir me donner des antis dépresseurs, on m’avait recommandé plusieurs séances de thérapie, ou plutôt, des séances jusqu’à ce que je me sente suffisamment stable pour reprendre ma vie en main et que je ne sois pas dangereuse pour qui que ce soit. La première séance, j’y étais allée à reculons, j’avais du mal à parler. La seconde avait été à la fois catastrophique et bénéfique. Catastrophique dans le sens où j’avais tout laissé sortir, en larmes, roulée en boule, luttant contre ma souffrance pour tout dire, tout lâcher. J’avais parlé du fait que je n’avais jamais rien vu venir, que je ne comprenais pas ce qui lui avais pris. J’avais parlé de cette soirée pendant laquelle je ne me rappelais pas de la moitié de celle-ci, qu’on m’avait dit que le député pour lequel je travaillais m’avait emmenée dans une pièce à part, et qu’après, personne ne savait ce qui s’était passé. J’avais parlé du fait que moi, j’avais su ce qui s’était passé quand, deux semaines après, j’étais allée chez le médecin et que celui-ci m’avait appris que j’étais enceinte, inévitablement de lui, parce que mon petit-ami et moi avions rompu un mois avant les évènements. Je n’avais pas su parler du déchirement que cela avait fait chez moi au moment où j’avais remis ma démission, quand je m’étais retrouvée seule chez moi, sans rien ni personne, ce petit être me rappelant ce que je considérais comme étant un viol. Mais inévitablement, il avait fallu que je dise que je ne l’avais pas supporté, et que c’est là que j’avais tenté de mettre fin à tout cela, en me coupant les poignets avec une lame de rasoir. Si ce n’était pas de Brady qui m’avait trouvée, je ne serais même plus là aujourd’hui. Pour cela, je lui serais éternellement reconnaissante, même si je n’avais pas eu l’occasion de le lui dire, tout s’étant bousculé depuis ma sortie de l’hôpital, même depuis cette dernière séance.
« Que s’est-il passé depuis notre dernière rencontre ? » Timidement, je baissai la tête, et je dis :
« Eh bien, j’ai trouvé un appartement, et un emploi… » « C’est bien ! Où vas-tu t’installer alors ? » « À Fairfax. C’est là que j’ai trouvé un emploi d’ailleurs. Comme guide dans l’ancien palais de justice. » C’était un gros changement de métier, j’étais consciente, mais dans les circonstances, c’était le mieux. Et puis, c’était un emploi tranquille, loin de toute la politique dont je ne voulais plus en entendre parler. Je ne pensais même pas dire cela un jour ; plus jeune, j’adorais cela. Je pouvais parler pendant des heures avec mon père de politique. Mon emploi, je l’adorais, jusqu’à ce que je me rende compte que ça ne valait pas le coup, que je perdais au final. J’étais tombée de haut, et je recommençais tout juste à monter la pente, comme le thérapeute semblait le constater, un petit air satisfait, mais concerné au visage. Toutefois, puisqu’il se devait d’être franc, il ne tarda pas à tenter de mettre au clair ce qui le chicotait en me demandant :
« Et… concernant le bébé ? Tu as pris une décision ? » Je savais que la question allait arriver, mais pourtant, je me montrai plus tendue quand elle fut posée. Plus encore, il me fallut quelques secondes pour finalement y répondre, puis dire, tentant de me montrer aussi sereine que possible :
« Je vais le garder… » avec un petit sourire qui se forma tout seul sur mes lèvres. En effet, j’y avais réfléchi, très longtemps. Au début, il était certain que je ne le gardais pas, vu ce qu’il représentait, mais après ma tentative de suicide, quand j’avais su que le bébé avait tenu le coup, j’avais compris que c’était un signe, un signe comme quoi il s’accrochait, comme quoi il fallait que je m’y accroche, moi aussi. J’espérais simplement prendre la bonne décision, même si cette dernière me faisait peur. Malheureusement, le thérapeute ne pouvait pas me dire si je pouvais être plus tranquille ou non, seul l’avenir le dirait, mais simplement le dire, mettre cela au clair, me fit du bien. C’était un nouveau chapitre qui était en train de s’ouvrir. Un chapitre rempli de flous, mais un nouveau chapitre qui, je l’espérais, allait être moins sombre que le précédent.
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« Félicitations Capri, vous avez réussi, vous avez un beau petit garçon ! » Dans la cohue, je faillis ne pas l’entendre. Perdue, épuisée, je tentai tant bien que mal de me concentrer sur plusieurs choses sans y arriver. J’entendis premièrement une autre infirmière annoncer la date de l’heure de la naissance : dix-huit septembre, minuit quinze. Voilà maintenant donc douze heures que j’étais arrivée à l’hôpital, conduite par ma mère qui avait malheureusement dû partir pour aller retrouver mon père, déjà qu’elle avait pris un risque en le laissant seul presqu’une heure, vu que son état se dégradait de plus en plus. Cela faisait douze heures que j’étais seule dans cette chambre, ayant pour seule conversation celles que les infirmières voulaient bien entretenir avec moi de temps à autre, peut-être parce qu’ils avaient pitié de voir une femme seule à son accouchement. Douze heures que j’avais mal, douze heures, que je me demandais à quoi bon avoir attendu si longtemps, avoir enduré tout cela. Je regrettais la décision que j’avais prise il y a huit mois. Frustrée, je me retournai ensuite vers le médecin qui coupait le cordon, et finalement, vers l’infirmière qui s’approcha, un petit être enroulé dans une couverture qui criait et pleurait. Puis, elle le déposa sur moi, me laissant alors légèrement perdue. Je ne savais pas comment le prendre, je ne voulais pas lui faire mal. Cependant, tout vint naturellement quand elle me dit
« Détendez-vous, ça va bien aller… » et qu’elle l’installa au creux de mes bras. C’est là que je compris que mes regrets, mes frustrations, mes questions existentielles, plus jamais je ne les aurais. En considérant le visage de mon fils, je saisis pourquoi j’avais eu le pressentiment qu’il s’était accroché à moi comme je m’étais accroché à lui. Je ne saurais pas expliquer ce sentiment qui m’envahi quand je le considérai pour la première fois, mais je sus que plus jamais je ne serais seule, parce que j’aurais ce petit être avec moi et ce, peu importe qui était son père biologique. De toute façon, il ne méritait même pas ce titre. Il n’était que son géniteur. Son père, ce serait celui qu’il voulait. S’il voulait que son parrain agisse à titre de père comme lui, qu’il en soit ainsi. Le monde entier lui appartenait, et j’allais faire en sorte que son chemin dans celui-ci soit des plus beaux, des plus sûrs. Souriant doucement d’émotion, je sentis une larme rouler sur ma joue tandis que je continuais à contempler cet enfant que je trouvais si beau dans m’expliquer pourquoi. Perdue dans ma rêverie, j’en sortis que lorsque tous furent partis, sauf une infirmière, celle qui avait passé le plus de temps avec moi, avec qui j’avais, d’une certaine façon, sympathisé. Avec un doux sourire, elle me demanda :
« Savez-vous comment vous allez l’appeler ? », me doutant bien que c’était par curiosité qu’elle me demandait cela. Toutefois, j’appréciais l’attention, et j’en vins alors à lui dire :
« Shiloh. » N’ayant pas su avant aujourd’hui que j’avais un fils, puisque je voulais garder la surprise, j’avais choisi un prénom qui se voulait neutre et qui, à mon avis, lui allait très bien, tout comme son second prénom, puis son nom de famille, donnant au final
« Shiloh Baelfire Hawthorne. » L’air ravi de l’infirmière fut suffisant pour m’assurer que mon choix était bon, et ce fut ainsi que j’accueillis mon enfant dans ce monde, mon petit Shiloh, ce petit homme qui venait à présent de changer toute ma vie, mais pour le mieux, je n’en doutais même plus.