«  Ecartez légèrement les jambes mademoiselle. » Ses mains parcourent mes bras, ma taille, passe furtivement sur ma poitrine et descendent le long de mes jambes, taponnant. Je regarde autour de moi, l’odeur du désinfectant et ces murs devenu jaunes, vieillit. Mon cœur bat à la chamade dans ma poitrine à l’idée que je vais te retrouver, enfin. Après une semaine, tu m’as tellement manqué et je ne fais que penser à toi, ton visage, tes yeux, ta bouche, ta voix, ton sourire. Je sais que je me mets dans une merde phénoménale, je veux dire ma vie est un véritable bordel. Mais j’ai toujours su, que je n’allais jamais pouvoir te quitter et t’abandonner comme un chien sur le bord d’une route. Alors je m’installe sur cette chaise, froide, devant toi. Mes mains rejoignent les tiennes sur la table, tu es dans ton uniforme orange. Je déteste l’orange. Le temps s’arrête et je crée autour de nous notre monde, notre bulle et je n’ai qu’une envie me blottir dans tes bras pour l’éternité. Mais on peut pas, je peux pas car dans quelques minutes tu y retourneras, tu passeras une nuit de plus derrière les barreaux et moi, je devrais retourner à ma vie, celle que je me suis construite. Alors avant de partir, je te lance un dernier regard, celui qui prouve au combien je t’aime. On s’est rencontré jeune, fou l’un de l’autre, jamais rien sans l’autre et mon cœur bat à une vitesse phénoménal rien qu’en posant mes yeux sur toi, mon ventre se tord et tu me manques terriblement, le genre de vide qu’on ne peut pas combler.
Et une fois que je sors de cette prison, je reviens à la dure réalité, à ma vie, sans toi. Je dois rentrer chez moi, le sourire aux lèvres, embrasser mon mari et lui préparer un bon petit dîner. Embrasser mon fils, non celui de mon mari mais bien celui de Wes. Je vis, mais j’ai l’impression de ne pas être moi, d’être comédienne de mon propre film. Après tout, est ce que c’est ce que je rêvais ? Non, je voulais que ça soit Wes qui soit assis à cette table. Tu étais en prison, j’étais effondrée, enceinte. Lui il était là, avec son argent, son amour débordant, me promettant mont et merveilles, me promettant une vie digne de ce nom pour moi et pour le bébé. Je devais penser à l’avenir de notre fils, il ne devait manquer de rien. Alors petit à petit, cet homme, m’a ramassée. A la petite cuillère, il a pris des sparadraps pour panser mes blessures et réparer peu à peu mon cœur. Il l’a rafistolé et j’ai remonté la pente. Au bout d’un an, j’ai décidé à venir te rendre visite, de combler ce manque, je me sentais assez prête pour te regarder dans les yeux sans fondre en larme, même si mon cœur se serrait toujours autant. J’avais envie de tout t’avouer mais je n’avais pas le courage, je n’ai jamais eu le courage.  Je te promets de t’attendre à la sortie mais après tout, qu’est-ce que j’attends ? J’attends quoi, de toi et moi ?

Il y a une vingtaine d’année d’ici, j’étais là, paumée. Incapable de faire un deuil, le deuil d’une mère. Celle qui m’avait portée, donnée la vie était partie rejoindre les anges et moi, je coulais petit à petit. Mon père ne me donnait plus d’importance, trop occupé à oublier un amour perdu. Et moi j’étais là, au milieu, avec cette sensation d’être inexistante. Alors je partais courir, j’essayais d’évacuer, je faisais la fête sans penser à demain et surtout sans penser aux conséquences. Débauche, pleure, détresse et frustration. Et puis tu as débarqué, tu as chamboulé ma vie. Un peu comme un sauveteur, un peu comme une bouée. Tu étais rejeté de ta famille et moi, je n’en avais plus. Alors on a créé notre propre famille, toi et moi, toi et moi contre le reste du monde. On était jeune, mais avec des projets en tête. Trop de projet. Mon premier amour, mon soldat, mon amant, mon amour, mon meilleur ami.
«  NON STEVEN s’il te plait. » Dis-je alors qu’il m’attrape par le bras juste devant la boîte de nuit. Je savais, je savais que je n’aurais pas dû accepter ce contrat en tant que serveuse pour cette soirée. J’avais eu ce pressentiment mais je me suis dit que c’était dans ma tête et qu’un peu de sous ne ferait pas de mal. Et voilà, j’en payais le prix. Il insistait, ses mains parcourant mon corps, de trop. J’avais envie de crier et Wes est arrivé juste à temps. Il m’a embarqué, et il a pété un plomb. Moi j’étais dans la voiture, pétrifiée, je n’osais plus bouger. Mes épaules bougeaient aux rythmes de mes sanglots. Je passe ma main sur mes yeux, étalant le mascara sur mes joues.
« Non mais je crois que j’ai pas bien compris … Quoi Steven, mort ? (…) Wes ? Wes en Prison (…) ? » Mon monde s’écroule. Mes espoirs. Mes projets. Pourquoi il a fait ça, putain pourquoi il a fait ça. Je n’allais pas y retourner, je n’allais plus jamais le revoir ce gars alors pourquoi il a fait ça ? Pourquoi il a tout détruit. Je laisse tomber mon téléphone contre le carrelage, je m’appuie contre le mur, me laissant doucement descendre contre le sol, ne pouvant retenir ce torrent de larme.
«  Oui bonjour mademoiselle Agusto. Nous avons reçu vos résultats pour votre prise de sang (…) Bien vous n’avez aucune carence ce qui est très bien vu votre situation. Vous êtes bien enceinte Mademoiselle. » « (…) » « Mademoiselle Agusto ? » « (…) » 
Lorsque tu es né et que je t’ai pris dans mes bras, j’ai cru que le monde autour de moi n’existait plus. Tu es mon sang, ma chair. Ta peau chaude contre la mienne, ta petite main tenant mon doigt. Les années sont passées vite, trop vite. Je ne t’au pas vu grandir et je n’ai pas eu le temps – sûrement est-ce une excuse – d’avoir une conversation avec toi. A peine tu étais né que tu l’appelais déjà papa et … Prise de court, voilà, j’étais juste prise de court. Alors j’ai fait comme si de rien n’était, je ne voulais pas te perturber. Mais je me suis promise un jour que j’allais tout t’expliquer.